LA N°3 / STI2D / N°4 / L / 99 Francs, Frédéric Beigbeder

Fréderic Beigbeder signe avec 99 Francs un roman centré sur Octave, un publicitaire, dont le métier consiste à décider, aujourd’hui, de ce dont les consommateurs auront besoin demain. Dans l’extrait qui fait l’objet de notre étude, le personnage narrateur dresse un autoportrait incisif au cours duquel il s’adresse sans détour au lecteur, n’hésitant pas à considérablement le provoquer en lui montrant les travers de la consommation.

La lecture du texte nous invite à nous demander en quoi ce texte offre-t-il une vision cynique de la société de consommation ?

 I/ Un jeu de provocation

a/ Le langage du personnage narrateur

Le narrateur personnage ne cesse de provoquer le lecteur dans cet extrait. Effectivement, la familiarité avec laquelle il s’exprime a pour dessein d’offusquer, d’interpeller, de choquer. Un vocabulaire assez grossier est perceptible tout au long du texte : « merde » (l 2),  « bagnole » (l 4), « baver » (l 8), « enculer » (l 24). En outre, les anglicismes du narrateur nourrissent cette provocation. Son snobisme est palpable dans l’utilisation qu’il peut faire des termes relatifs au commerce et aux affaires : « shootée » (l 5), « cash-flow » (l 13), « les stock-options et le golden parachute » (l 17). L’énumération des marques et des modèles de voitures se veut insidieuse : « Mercedes SLK » (l 20), « la roadster BMW Z8 » (l 21) La polysyndète des lignes 20-21 traduit les possibilités infinies du narrateur, son appétit pour la consommation et son désir de possession : « ou la BMW Z8 ou la Porsche Boxter ou la Mazda MX5. » Le langage du narrateur met en lumière son assurance et le dédain qu’il manifeste pour l’acheteur. Peu à peu, le lecteur voit se dessiner le portrait singulier d’Octave.

b/ Un autoportrait singulier

La première personne du singulier ne cesse d’apparaître dans ce texte : l 1, 2, 5, 7. L’originalité de cet extrait, et donc de cet autoportrait, réside dans le fait que ce « je » s’adresse à un vous collectif à savoir le lecteur : « Et ma cible, c’est vous. » (l 15) Cette énonciation offensive correspond à la profession d’Octave. Il est un protagoniste que l’on déteste immédiatement même si son objectif est également de nous montrer l’hypocrisie et la cruauté de son métier. Dès la ligne 1, nous sommes déstabilisés par les deux informations, sans lien apparent l’une avec l’autre, qui nous sont proposées : « Je me prénomme Octave et m’habille chez APC. » (l 1) Ce rythme binaire désappointe le lecteur qui comprend que le prénom du narrateur semble avoir autant d’importance que la marque de ses vêtements. Objet et personne se confondent. Le cynisme du protagoniste transparaît, en outre, à travers la périphrase qu’il choisit pour se définir : « Je suis le type qui vous vend de la merde. » (l 2)  L’hyperbole : « Je passe ma vie à vous mentir » accentue l’immoralité d’Octave qui se présente tantôt comme un être pervers : « Votre souffrance dope le commerce. » (l 11) tantôt comme un être clairvoyant puisqu’il a conscience des méfaits de la publicité : « je vous drogue à la nouveauté » (l 7)

 II/ Regards sur le métier de publicitaire

a/ Les artifices du monde publicitaire

La publicité propose à la vente un monde idéal mais qui s’avère être artificiel. Le rythme quaternaire de la ligne 3 : « Ciel toujours bleu, nanas jamais moches, un bonheur parfait, retouché sur PhotoShop. » expose le rêve de pacotille que le métier de publicitaire commercialise. Tout ce qui nous est proposé n’est que faux-semblant. La phrase a-verbale : « Images léchées, musiques dans le vent. » (l 3-4) mime un univers factice qui s’effondre dès que le produit est acquis. En effet, la CC de but : « pour que vous soyez frustré » (l 6) indique que le métier d’Octave est contrefait, qu’il a pour unique dessein de léser le consommateur. En outre, le présent de vérité générale : « Le Glamour, c’est le pays où l’on n’arrive jamais. » (l 6-7) n’est là que pour mettre en évidence la quête d’insatisfaction qui est le moteur d’Octave et de l’univers de la publicité. Les nombreux détails qui sont donnés, grâce à la proposition subordonnée relative, concernant la roadster BMW Z8 révèlent l’importance du paraître dans le monde publicitaire : « qui allie esthétisme aérodynamique de la carrosserie et puissance grâce à son 6 cylindres en ligne qui développe 321 chevaux, lui permettant de passer de 0 à 100 kilomètres/heure en 5.4 secondes. » (l 21-22-23) La vantardise mène cet univers qui n’existe que par l’artifice. Enfin, la référence au magasine « Vogue » utilisé en tant que substantif : « J’ai trois vogues d’avance » (l 6) met en exergue le désir de proposer un rêve accessible seulement sur papier glacé. Il suffit de gratter quelque peu le vernis et il s’écaille parce qu’il ne s’agit que de choses : « que vous n’aurez jamais. » (l 2)

b/ L’engrenage de la consommation

La machine publicitaire est une course effrénée, un engrenage diabolique. Le champ lexical de la déception, de la souffrance est perceptible dans notre extrait : « souffrance » (l 11), « déception post-achat » (l 11-12), « frustré » (l 6). Le malheur du consommateur fait naître le bonheur du publicitaire qui ambitionne de nous maintenir dans la morosité : « parce que les gens heureux ne consomment pas. » (l 9-10) Le rythme ternaire : « il faut attiser la jalousie, la douleur, l’inassouvissement » (l 14) met en lumière les sentiments négatifs que la publicitaire fait naître chez nous. L’image de la drogue : « dope » (l 11), « je vous drogue » (l 7) est adaptée à cet univers. Le besoin de consommer est irrépressible, permet une satisfaction momentanée mais le manque est extrêmement douloureux. Le consommateur est dépendant et ne peut se passer de sa ration d’achats comme le montre le verbe d’obligation « falloir » : « Il vous faut d’urgence un produit, mais dès que vous le possédez, il vous en faut un autre. » (l 12) En outre, la polyptote : « l’avantage avec la nouveauté, c’est qu’elle ne reste jamais neuve. Il y a toujours une nouvelle nouveauté pour faire vieillir la précédente » exprime parfaitement la machine démoniaque qu’est la publicité. Le narrateur le rappelle à la ligne 13 : « L’hédonisme n’est pas un humanisme ».

Dans cet extrait de 99 Francs, Octave donne à observer un monde où la publicité manipule et se joue du consommateur. Elle ne recule devant rien pour éveiller les désirs des acheteurs et faire naître leur frustration. Ce texte rappelle Au Bonheur des Dames et plus particulièrement l’épisode qui suit la journée de promotion au cours duquel Hutin et Favier, frénétiques, ne songent qu’à calculer le chiffre d’affaire. 

 

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