LA N°2 : « Les horloges », Emile Veraheren

Verhaeren, poète belge symboliste (approche sensible de la réalité, à la description on préfère la suggestion et l’allusion, vision désenchantée). Connu pour avoir fait rentrer les paysages urbains dans ses poèmes, il se consacre dans « Les horloges », poème constitué de 4 quatrains et d’un sizain, à un objet qui se trouve chez chacun de nous. Néanmoins, au fil des vers, ces dernières se métamorphosent devenant des monstres aux yeux du poète. PBQ : En quoi l’attention portée sur l’objet révèle-t-elle la peur du poète ?

I- Un cadre spatio-temporel flou

a- Un temps imprécis

Le vers 1 nous indique que l’action a lieu « la nuit ». L’article défini « la » put porter à confusion. En effet, s’il semble désigner une nuit en particulier il pourrait également décrire un jeu des horloges qui se répète chaque soir mettant en exergue l’angoisse du poète.

b- Un espace à peine esquissé

Concernant l’espace, celui-ci est également très flou. Le lecteur sait seulement que les horloges comme le poète se trouvent dans des « demeures » précédées du déterminant possessif « nos ». L’utilisation de ce déterminant peut laisser sous-entendre que la scène qui se déroule chez le poète a lieu également chez le lecteur.

II- L’expression de l’angoisse

a-Des sons effrayants

L’omniprésence du bruit dans le poème met en évidence l’angoisse que font régner les horloges dans la maison. Effectivement, le silence n’a pas sa place dans la nuit malgré ce que le vers 1 pouvait sous-entendre : « La nuit, dans le silence en noir de nos demeures ». Dès le vers 2, les bruits stridents apparaissent : « cognent », « montant et dévalent » (vers 3), « sons morts, notes de plomb » (vers 9) « boitant » (vers 20). Ces derniers, de plus, sont renforcés par les allitérations en t, b et d « béquilles », « bâtons », « plomb », « boutique en bois », …

a- un refrain inquiétant

Le vers commençant par l’anaphore « les horloges » qui vient clôturer chaque strophe peut être apparenté à un refrain. Néanmoins, si le vers commence par le même GN « Les horloges », nous pouvons noter une progression dans le groupe prépositionnel qui le suit. La personnification commence avec « Les horloges avec leurs pas » puis continue : « avec leurs yeux », « avec leurs voix ». Ce refrain qui revient à la fin de chaque strophe renforce la peur du poète.

b- La monstruosité des horloges

Les horloges sont personnifiées tout au long du poème. Elles possèdent des attributs humains comme l’indique le vers qui clôt chaque strophe : pas, yeux, voix, … qui les rendent monstrueuses. Le poème fourmille de comparaisons péjoratives. Les aiguilles sont vues comme des « béquilles et bâtons », les chiffres sont qualifiés de « maigres et vieux », les horloges évoquent de « vieilles servantes ». Tous ces éléments concourent à rendre effrayantes ces objets. De plus, leur prise de parole c’est-à-dire la prosopopée (l’auteur donne la parole à un absent ou à une chose inanimée) renforce l’angoisse du poète et du lecteur. La dernière référence aux horloges au dernier et à l’avant-dernier vers met en évidence  l’allégorie (Figure de style qui permet de mieux comprendre un concept, une idée, une abstraction grâce à une histoire, une métaphore ou une image) du temps qui passe. Les horloges sont monstrueuses non seulement car elles prennent vie mais également car elles ne cessent de rappeler au poète que le temps s’écoule et qu’il va mourir comme l’indique la métaphore : « Cercueils scellés dans le mur froid / Vieux os du temps que grignote le nombre ». Il est terrifié face à elles : «  Les horloges et leur effroi ». Nous ignorons si elles répondent ou non à la question du poète : « Les horloges que j’interroge » mais il n’en demeure pas moins que leur réponse ou leur silence le tétanise : « Serrent ma peur en leur compas ».

Dans ce texte, l’objet du quotidien devient un monstre qui dévore le temps. Il rappelle tout au long de la nuit que le temps file. Ce poème évoque « L’horloge » de Charles Baudelaire qui elle aussi répète sans cesse au poète : « memento mori ».

« Tout n’est que vanité », Charles Gilbert, XIXè siècle

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